Ma vie sur l'Ile
Ce fut le 30 septembre 1988, après dix années de dur labeur que le Santa Maria fut fin prêt et que nous pûmes embarquer. Le Santa Maria était un grand bateau, fier et majestueux. Sa coque était du bois le plus pur et sa voile était de velours.
Les hommes entrèrent d'abord et chacun put prendre connaissance de sa chambre, tout seul ou à plusieurs. Puis, vinrent les bêtes qui nous nourriraient de leur chaire, beuglantes, grognantes et caquetantes de terreur.
Le premier jour fut sublime. Le bateau fendait les vagues et le temps était resplendissant : le ciel était bleu et le soleil chauffait doucement la peau. Mon camarade de chambre qui se nommait Hector Dumoulin était très agréable et, plus tard, sa perte me causerait de terribles souffrances.
Le premier jour du deuxième mois de voyage, une terrible tempête se leva. Les immenses vagues qui déferlaient étaient des puits sans fond et, à chaque fois, nous avions l'impression que le Santa Maria allait toucher le fond et se briser en mille morceaux. Mais le bateau était solide et nous nous en sortîmes, non sans de nombreux et terribles dégâts. Il nous fallut plus d'un mois pour tout réparer car le temps n'était plus clément. Les matelots étaient très superstitieux et croyaient à une malédiction. Certains jours, en regardant ce qui avait suivi, je me dis qu'ils n'avaient pas tort. Je dois aussi dire que le capitaine m'intriguait, me faisait peur même... Sa jambe de bois et son œil crevé inspiraient la terreur ; mais son calme m'impressionnait. La vie continuait sur le bateau.
Le dix décembre, des nuages noirs s'amoncelèrent dans le ciel. Puis, des vagues immenses se dressèrent. Le bateau plongeait jusqu'au fond puis se redressait presque à la verticale. Nous étions précipités d'un bord à l'autre du bateau et manquions de chavirer à chaque remous. Tout à coup, une vague plus forte et plus grande encore que les autres projeta le bateau contre un récif qui émergeait de la mer. Le Santa Maria s'écrasa et des planches volèrent en tous sens. Nous fûmes projetés dans la mer. Je plongeai et essayai de remonter mais n'y parvins pas. L'affolement me gagnait et mes poumons étaient en feu. Apercevant quelque chose qui flottait, je m'y accrochais avec la force du désespoir. C'était une planche et j'y vis ma seule chance de salut.
Je m'y hissais péniblement et me laissais porter au gré des courants. J'entendais les cris déchirants de mes compagnons mais étais moi même incapable de parler. Je me laissais dériver pendant un long moment puis, pensant aller vers une mort certaine, je m'abandonnais au sommeil, préférant cette mort à de terribles souffrances.
A mon réveil, je fus d'abord heureux d'être en vie. Mes paupières étaient collées par le sel et mes membres étaient raidis de froid. Je me levais, non sans mal.
J'avais atterri sur une île étrange qui me parut déserte et je partis l'explorer.
Je commençai par la partie nord de l'île, car la partie sud était recouverte d'une forêt sombre et impénétrable. Cette partie contenait une source d'où coulait une eau claire et fraîche. Des lapins, des oiseaux ainsi qu'un animal que je n'avais jamais vu, à mi-chemin entre le canard et le kiwi y avaient élu domicile.
J'y trouvais aussi une grotte où subsistaient les traces d'un très ancien campement. J'y pris des armes à feu en état de fonctionnement, une cartouchière presque pleine ainsi que plusieurs arcs accompagnés de leur carquois. Puis, décidant que l'exploration était terminée pour ce jour, je retournai à la plage où je m'étais échoué et construisis un abri de fortune pour passer la nuit.
Le lendemain, je finis d'explorer la partie nord. J'y découvris une grotte qui, étrangement, était constituée de deux pièces. La première était claire, spacieuse et très aérée alors que la deuxième était petite, plutôt sombre mais à l'abri des bêtes sauvages. J'y installai mes affaires puis je partis, accompagné d'une arme à feu chargée, explorer la partie sud.
Je n'y trouvai pas grand chose hormis quelques arbres qui regorgeaient de fruits. Soudain, j'entendis un craquement anormal, comme si une créature voulait se faire discrète mais n'y parvenait pas. Peu de temps après, je sentis des picotements parcourir ma peau, signe que j'étais observé. La panique s'empara de moi. Prenant mon courage à deux mains, je me retournai. Ce que je vis me stupéfia. Une bête horrible se tenait devant moi. Sa fourrure d'un noir de jais d’où des lambeaux de viandes pendaient était touffue. Son corps était long et svelte comme celui d'un lion à la seule différence que la bête mesurait deux mètres de long. Il avait de longues oreilles et son museau était fin. La bête avait de petits yeux. Mais furieux, les yeux. Des crocs sanguinolents dépassaient de sa bouche. J'attrapai un bâton et m'élançai, essayant de trouver le point faible de la bête mais je me cognai à un mur impénétrable.
Finalement, je pris l'arme à feu et tirai. Je l'atteignis à la patte et elle s'éloigna en grondant. Je rentrai et m'écroulai sur ma paillasse.
Puis, peu à peu, le quotidien s'installa. Je mangeais, dormais et essayais de consigner mes mémoires dans un livre. Tous les jours, j'allumais un feu et je le faisais fumer le plus possible.
Un jour, un bateau passa et vit l'île, puis le feu. Il s'arrêta. J'hurlais de toutes mes forces : «Aidez-moi! Au secours!» Le bateau accosta et le capitaine vint me voir. Il me demanda mon nom, mon prénom ainsi que mon âge. «Hagger, Jack, quarante trois ans mon capitaine!»
Son visage devint blême et il me dit: «Jack Hagger?! Mais tout le monde vous croyait mort!
- Et mes compagnons de vaisseau? Réussis-je à articuler péniblement
- Seul le capitaine a survécu...»
Le capitaine me ramena sur son bateau jusqu'à chez moi.
En arrivant, je trouvai ma femme et mon fils au cimetière, morts de la peste, et je sombrai dans l'alcool et le désespoir. J'essayai maintes fois de retrouver mon île car la vie en ville me paraissait impossible sans ma femme et mon fils mais, jamais n'y parvins. Le capitaine avec qui j'entretenais de très bons termes me dit un jour:
«- Jack, ton île, a existé lorsque tu en as eu besoin mais, quand tu es parti, elle a tout simplement disparu. Cela ne sert à rien de chercher.»
Longtemps après, le souvenir béni de mes aventures sur cette île me resta en mémoire.
Margot.