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Ma traversée de l'Atlantique.

Ma  traversée de  l’Atlantique

                Je vais vous raconter de quelle manière, tout aussi effrayante qu’étrange, j’ai traversé l’océan  Atlantique pour me rendre en Amérique.

 

                Il faisait sombre, nuageux. D’énormes vagues se formaient à la surface de la mer, mais se rabattaient immédiatement dans les eaux noires et inquiétantes. Mon frère, grand et mince, scrutait cette dernière. Elle remuait d’une manière mystérieuse, comme si un monstre s’agitait dans ses abîmes.

J’étais à côté de mon frère, mais moi, je regardais le capitaine qui m’intriguait plus que tout avec sa jambe de bois. Il était serein. Tout à coup, il se figea, se pencha pour mieux voir la mer. Sa bouche s’ouvrit, ses pupilles noires s’écarquillèrent et reflétèrent l’inquiétude, il se mit à crier, un cri grave, perçant. Je sentis les muscles de mon frère se durcir. Je me retournai. Une vague semblable à une baleine s’abattit sur notre navire qui n’était pour elle que poussière. Mon frère m’entraîna d’un geste brusque vers les cabines mais c’était trop tard. La vague m’écrasait. J’étais comme déchiqueté, giflé, transpercé par cette vague. Je tombai violemment sur le pont. Je perdis connaissance. A mon réveil, tout l’équipage s’affolait. Dans le ciel noir, une vague encore plus effrayante que la précédente se brisa sur le plancher de notre bateau…

               Il faisait beau. Le sable blanc, fin et doux était si confortable… Je m’endormais… Lorsque j’ouvris les yeux, mon frère était allongé à côté de moi, inerte. Je me mis à le secouer en tous sens, affolé. Il ouvrit ses yeux, d’un gris plus pale que jamais :

« Sois  fort… »

Il les referma aussitôt. Tout était vide en moi. Je pleurais :

« Il ne faut plus y penser, me disais-je intérieurement. »

Mais j’aimais tant mon frère. Oui, moi, Axel, jeune garçon de douze ans, grand, courageux et assez musclé aimais tant mon frère, sans doute trop. Laisser son corps là, sans pouvoir lui rendre hommage, noircissait le vide déjà présent en moi. Je pris un bâton, sans doute un reste du bateau, et partis vers la dense forêt de l’île.

             L’air était humide et chaud. D’énormes arbres paraissaient toucher le ciel, contrairement aux milliers d’arbustes qui rasaient le sol. Je marchais, non sans frissonner de froid, mais aussi de peur. L’atmosphère obscure ne me rassurait guère. Des craquements se faisaient entendre. Ils devinrent plus nombreux, incessants, horrifiants, on courait vers moi ! Je me mis à courir, en me retournant. Je fus arrêté net. Il n’y avait rien, ou plutôt mon agresseur était parti, mais les craquements recommençaient. Je courais, je criais, mais cela ne changeait rien. Il courait encore, mais ne se rapprochait pas de moi. Il devait me tourner autour. Le vide qui s’était installé en moi se remplit alors de ses pas. Cela raisonnait en moi, prenant possession de ma raison, ils m’accablaient, me rendait fou ! Les mains sur les oreilles, je courais à en perdre haleine, jusqu’à une clairière, ou je m’écroulai. Mes larmes me brûlaient. J’étais perdu. Je crois que j’aurais préféré être mort comme mon frère:

«Pablo ! Non, ne pars pas ! »

De courtes visions de mon frère se produisaient. Oui, c’est ça, j’hallucinais. J’aurais tant aimé y croire... Sans doute était-ce la faim qui me faisait halluciner. Il me fallait manger. Trouver de la nourriture serait mon objectif. Je n’avais aucune idée du plan de l’île, même pas une boussole. Je n’avais donc aucune idée d'où se trouvaient les arbres fruitiers ou le gibier. Je finis par me mettre en route, car je finirais obligatoirement par arriver sur une des plages de l’île, où il y aurait des noix des cocos. Je marchais, encore, encore, et encore :

« L’île est infinie, ou je tourne en rond ! »

            Cela devait faire trois heures, quand, enfin, j’atteignis la plage avec la mer turquoise, presque transparente. Mais, s’il y avait quelque chose à quoi je m’attendais le moins du monde, c’était bien à ça :

Un groupe d’énormes bêtes, mi-tigre, mi-jaguar, se tenaient là, sur la plage. Ils étaient grands, majestueux, mais leurs canines sortaient de leur gueule quand ils se léchaient les babines. Cela leur donnait un air maléfique. En me voyant, ils firent semblant de m’ignorer, mais moi, je croyais qu’ils m’ignoraient réellement. Je pris une noix de coco, et la cassai avec une pierre. Pendant que je mangeai, sans que je m’en rende compte, les monstres m’encerclaient. Après m’être rassasié et avoir bu, je me levai pour arpenter la plage, mais les bêtes étaient autour de moi, tapies sur le sol. Elles me sautèrent dessus ! Je courus en m’arrêtant à chaque fois, car il y avait une créature devant moi. Le cercle quelles formaient se rapetissait jusqu’à ce que je ne puisse plus bouger. De peur, je me débattis. Je crois que je n’aurai pas dû. Je les tapais dans leurs yeux, sur leur nez, dans leurs oreilles. Prises d’énervement, les bêtes s’acharnèrent sur moi. Je ne pouvais rien faire ! Elles me mordaient, me griffaient, je voyais leurs dents et leurs griffes saillantes, la plus grosse bête me saisit le bras et ferma sa mâchoire d’un coup sec. Je tirai et...mon bras s’arracha ! Le cri que je lançai suite à la douleur était si déchirant qu’il en fit voler tous les oiseaux de l’île. Les tiguars, car c‘est comme ceci que je les avais nommés, m’avaient arraché mon bras et étaient allés s’en disputer les plus tendres morceaux à quelques mètres de là. J’étais à genoux, je regardais le reste de mon bras presque entièrement déchiqueté. Ma blessure me faisait terriblement mal. C’est un morceau de ma chemise que je mis en guise de bandage et me résignai à manger pour favoriser la cicatrisation de cette dernière. La nuit tombait. Elle s’annonçait froide et brumeuse. Ma douleur s’intensifiait jusqu’à m’en empêcher de pleurer. J’étais là, sur la plage, épuisé.

             Il devait être deux heures du matin, quand, au large, je vis une lointaine lueur. C’était un bateau ! Je devais faire un feu ! Mais comment, il me manquait un bras. Avec mes pieds, je pris deux bouts de bois et me mis à les frotter de façon à faire du feu. Malheureusement, cela ne faisait que de la fumée. Avec mes dernières forces, je criai. Je n’avais plus la force d’agiter mon bras. Je ne sais par quel miracle, l’équipage de la petite embarcation m’aperçut et se dirigea vers l’île. Une des barques du bateau fut mise à l’eau pour arriver jusqu’au rivage. Des hommes en descendirent et coururent vers moi :

« Portez-le, il est épuisé, dit celui qui les commandait sûrement. » 

Une fois à bord de l’embarcation, tout en me soignant, ils me questionnaient : 

« - Comment t’appelles-tu ?

- Heu...Alex. Alex  FRIGUANE.

-  Quel âge as-tu ?

- 12 ans. Oui...c’est ça, 12 ans.

- Comment es-tu arrivé sur l’île ?

- Par le naufrage du Goéland des mers. »

J’eus alors une forte pensée pour mon frère, je ne pus retenir mes larmes...C’en était trop...J’explosai :

« - Pablo ! Faite demi-tour !

- Il y a quelqu’un sur l’île ?!

- Oui ! Répondis-je à la fois dépité et fou de colère.

- Pourquoi ne l’as-tu pas dis plus tôt ! Dit-il en haussant fortement la voix.

- Il est...

- Désolé...Reprit-il doucement. »

Le reste du voyage se fit sans aucune discussion.

           Toute ma petite famille avait péri lors du naufrage. J’avais donc été placé en famille d’accueil, jusqu'à ma majorité. Aujourd’hui, j’ai du travail, mais mon bras manquant m’handicape encore et m‘handicapera toujours.

 

                                                                                                           Claire 

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