Brad était le seul rescapé de La Victoria, galion sur lequel il faisait route pour les Indes, et qui fit naufrage en 1589 au milieu de l'océan pacifique. Depuis son retour à San Francisco, il n'avait pas dit un mot des longs jours qu'il avait passés sur l’île. Cela intriguait plus d'un curieux, mais aucun d'entre eux n'avait eu le courage de venir lui demander de narrer sa mésaventure. Mais un jour, Brad accepta de nous conter son aventure et nous nous rendîmes dans sa modeste demeure. Après plusieurs échanges de politesse, l'insulaire entama son récit, jour après jour, faisant preuve d'une mémoire infaillible…
11 septembre 1589
« J'étais alors âgé de 40 ans et mousse sur le galion La Victoria qui sombra au cours d'une épouvantable tempête. Sous mes yeux moururent plusieurs de mes compagnons et je perdis connaissance. A mon réveil, je me trouvai sur une île, le sable chaud me brûlait la peau, les goélands hurlaient au-dessus de moi. J'aperçus autour de moi, éparpillés, de nombreux restes de La Victoria. Je ne vis personne: apparemment j'étais le seul survivant et la mer avait emporté toutes mes armes et la nourriture.
J'observai l'île : une haute masse grise culminait l'île, à son pied s'étendait une épaisse forêt tropicale. Le ciel gris se confondait avec la montagne. Un silence oppressant régnait sur l'île. Derrière moi, j'entendais seulement le léger bruissement de l'eau.
Vêtu des restes de mes habits, j'avais réussi à me faire un abri de fortune à l'aide de deux palmiers, que j'avais trouvés à l'entrée de la lugubre forêt, me permettant de suspendre un hamac de lianes sauvages .
14 septembre 1589
Les nuits étaient froides, je n'en pouvais plus, je regrettais tellement mon lit… Mon lit, ma femme et mon fils... J'avais l'impression que cela faisait une éternité que je gisais sur cette île sans même avoir le courage de m'élancer à l’intérieur des terres pour y découvrir mon nouveau milieu de vie. Cela faisait trois jours que je me nourrissais de noix de coco sauvages qui poussaient au-dessus de ma tête, à la lisière de la forêt et il m'arrivait de trouver quelques crustacés échoués sur le rivage mais j'imaginais bien les fruits exotiques juteux qui se trouvaient au cœur de la forêt.
A plusieurs moment de la journée je me sentais épié par plusieurs regards, parfois curieux parfois cruels. Au début je ni prêtais aucune attention mais, une nuit, j'aperçus plusieurs silhouettes longeant le rivage. Je n'étais pas assez bien réveillé pour affirmer que ces ombres étaient réelles, mais j'avais de gros doutes sur le fait que cette île était déserte.
Nuit du 19 au 20 septembre 1589
Je n'étais pas seul sur cette île ! J'en étais maintenant sûr! Une nuit, pour confirmer mes soupçons, je fis semblant de m'endormir et attendis mes visiteurs nocturnes. Vers minuit, cinq hommes apparurent de derrière les buissons et se dirigèrent vers moi. Je m’efforçai de ne pas bouger et régularisai ma respiration car je ne voulais pas qu'ils découvrent ma ruse. Au clair de lune, je pus constater qu'il s'agissait d'hommes de petite taille, ventrus et chevelus ayant pour toute tenue des feuilles de palmiers. Ils tournèrent d'interminables minutes autour de moi puis partirent en me laissant seul sur la plage. Je compris alors la raison de leur départ: le soleil se levait et ils craignaient d'être vus.
20 septembre 1589
Après plusieurs nuits d'observation, j'avais tiré la conclusion que ces hommes n'étaient sans doute pas plus d'une dizaine sur l’île. Après beaucoup d'hésitation, je décidai de partir à leur rencontre et pénétrai dans la forêt la plus dense jamais rencontrée. Il y faisait froid et humide, plusieurs petits bruissements parvenaient à mes oreilles et je reconnus les cris des petits « titi » singes vivant principalement au Mexique. Je compris alors que je devais me trouver dans une des nombreuses îles qui longeaient les côtes mexicaines. Je marchais depuis quart d'heure en direction de la montagne quand, tout à coup, un bruit sourd parvint à mes oreilles : je me retournai et découvris un énorme tigre roux qui me regardait férocement toutes dents dehors. Nous restâmes un moment à nous regarder puis je détalai rapidement en direction de la montagne. Je courus de longues minutes sans avoir le courage de me retourner. A bout de force, je m’arrêtai en tombant à la renverse, je ne pouvais plus bouger, je n'avais plus de force ni physique, ni mentale . Si le tigre me suivait toujours, j’étais perdu ! J'attendis quelques secondes mais ne sentant aucune morsure et n'entendant pas de souffle bruyant : le tigre ne m'avait pas suivi, j'étais sauvé !
Je me relevai et regardai autour de moi, j'avais couru jusqu'en haut de la montagne et là, je dominai l'île et les horizons bleus. En plissant les yeux je perçus une forme au loin, oui ! C'était bel et bien le continent ! J'étais sauvé !
Longtemps après, je me souvenais encore de mes multiples aventures !
Paul